Derrière une taxation plus sévère des successions, un débat politique s’est engagé : faut-il supprimer l’héritage ? Pour Jean-Luc Mélenchon, il faut tout prendre au-delà de 12 millions. Pour Valérie Pécresse : il faut porter l’exonération complète de droits de successions de 100 000 € à 200 000 €. Dans les faits, 85 % des français ne payent aucun droit de succession. Et pour cause : soit ils n’héritent de rien, soit ils héritent d’un montant inférieur au seuil de taxation.

Pourquoi ce débat pour une plus grande taxation des successions ?

L’économiste Thomas Piketty en a fait un de ses thèmes – fétiches. Le rapport de la commission Blanchard – Tyrole (2021) en a remis une couche en proposant une taxation des héritages tout au long de la vie, ce qui reviendrait à taxer les héritages au taux fort dès les premiers héritages des multi-héritiers.

La raison ? Pour le premier, une idéologie plus politique qu’économique. Les riches doivent payer pour une plus juste répartition des richesses : il faut redistribuer les chances. Pour les seconds, un constat plus cru : les caisses de l’Etat sont vides, il faut trouver l’argent là où il est. Taxer plus les héritiers leur sera relativement indolore, il leur en restera toujours.

Taxer les héritages : une bonne solution ?

Le sous-jacent politique de ceux qui proposent de taxer plus les héritages, voire de les faire disparaître – sans même s’attarder sur les discours populistes – repose sur les mêmes idées :

  • l’argent va à l’argent : chacun doit avoir sa chance et supprimer l’héritage, c’est remettre les compteurs à zéro ;
  • la France redevient un pays de rentiers : avec l’héritage, des populations entières n’ont pas besoin de travailler et ne seront jamais productifs ;
  • une société de rentiers, c’est une société qui se disloque : si le métrite ne permet plus aux classes modestes et moyennes d’accéder à la richesse, le pacte social explose ;
  • l’essentiel de l’héritage en France est constitué d’immobilier, ce qui n’est pas un investissement productif et ne permet pas l’accession à la propriété des plus modestes.

Le constat qui veut que l’argent se transmette de génération en génération, sans sortir des mêmes familles, est en grande partie vérifié. En Angleterre, une étude a démontré que les familles de l’élite anglaise en 2012 sont en grande partie les mêmes que celles de 1170 ! Autre étude et même constat en Toscane : les familles riches de 2011 à Florence, sont les mêmes que celles de 1427.

Certes, les vieilles familles fortunées se transmettent leur patrimoine de génération en génération. Chacune d’elles se sent d’ailleurs comme un passeur : la fortune n’est pas dépensée, il faut l’entretenir, la faire fructifier et la transmettre à la génération suivante. Elles sont de fait à l’abri d’être déshéritées (Pouvez-vous être déshérité ? lire cet article). Les nouveaux riches aussi font hériter leurs enfants : les premiers Bouygues, Riboud, Mulliez, Leclerc, Bolloré, Pinault, Dassault, Barnoin… ne sont pas nés avec une cuillère d’argent dans la bouche, mais leurs héritiers ont su continuer leurs projets.

Certains échouent ou dilapident leur héritage.

Hériter n’est pas une garantie de succès économique et c’est en soit une forme de justice sociale. Plutôt que de taxer encore plus ceux qui ont réussi, pourquoi ne pas se concentrer sur ce qui fera réussir ceux qui n’ont hérité de rien ?

La réalité est que les familles transmettent bien plus que de l’argent : une éducation, des valeurs, un état d’esprit, un réseau relationnel, sans même parler d’un patrimoine génétique… Tous types d’ingrédients qui ne sont pas taxables.

Autre élément de taille : sortir du débat franco-français. L’argent est mobile. Le taxer excessivement en France, c’est le faire partir ailleurs. Or, de nombreux pays n’appliquent aucun droit de succession, ou pas de droit pour les héritages en ligne directe, y compris au sein de la zone euro : Chine, Russie, Portugal, Suède, Autriche, Norvège, République Tchèque, Luxembourg…

Quel serait l’état d’esprit d’un état qui encouragerait ceux qui ont gagné de l’argent à le dépenser, plutôt qu’à le transmettre, à consommer plutôt qu’à investir ?

Enfin, n’oublions pas la part de l’affect dans ce sujet : toute personne qui a travaillé, que ce soit à l’entretien d’un jardin reçu de ses parents ou au remboursement d’un prêt immobilier, n’a pas envie de voir ses enfants privés de ses efforts.

Les français ne s’y trompent pas : 87 % d’entre eux souhaitent la diminution des droits de succession (étude Credoc 2017).

Plutôt taxer les gains de jeux ou l’hyper-spéculation

Enfin, si on veut vraiment taxer l’argent « qui tombe du ciel », pourquoi taxer les héritages et pas les gains de jeux, par exemple ? Pourquoi faudrait-il taxer plus un patrimoine qui a été déjà taxé, retaxé et re-retaxé, quand il était un revenu, une dépense ou un patrimoine immobilier, et pas le gros lot du Loto ? Pourquoi taxer le résultat du travail, des efforts, de la patience, de l’investissement et de l’histoire quand on ne taxe pas du tout la chance ?

Même constat avec l’hyper-spéculation, non productive de valeur. Pourquoi ne pas mettre à contribution les prises de bénéfices décorrélées de la situation économique réelle, les allers-retours sans autre objectif que la plus value ? Un infime prélèvement produirait d’importantes ressources.

A moins qu’on apprenne à ne pas gâcher l’argent public.

Un vrai choix de société.

 

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