Il existe une expérience de monnaie que l’on peut qualifier de « virtuelle », l’assignat, dont on peut tirer des enseignements sur l’avenir des crypto-monnaies. Le parallèle est saisissant.

La Révolution Française et l’assignat

Petit rappel historique : les caisses de l’Etat vides, les révolutionnaires français doivent trouver une solution pour les renflouer et financer la guerre aux royautés européennes. Dès 1789, Talleyrand propose de confisquer les biens du clergé et, en contrepartie de ce patrimoine à vendre, d’émettre une monnaie-papier : les assignats, ancêtres des billets de banque. Ces titres sont, à l’origine, des reconnaissances de dette sur les ventes immobilières à venir. Dans les faits, ils deviennent rapidement des billets de monnaie échangeables. La planche à billets tourne à plein régime, au point qu’en 1796, la valeur totale des assignats atteint le record de 45 milliards de livres, alors que la valeur maximale des biens du clergé ne dépasse pas 3 milliards. La spirale déflationniste est engagée : sitôt imprimés, les assignats se déprécient, ce qui permet aux plus malin d’acheter les anciens biens du clergé avec de la monnaie sans valeur. La situation s’empire d’autant plus que, sous l’influence de la couronne d’Angleterre, plusieurs pays impriment de faux assignats pour plomber les finances de la France révolutionnaire. En février 1796, l’assignat est officiellement abandonné.

Quels sont les points communs entre les assignats et les crypto-monnaies ?

 

A l’origine, une innovation technologique et une évolution des mentalités :

  • pour les assignats : l’imprimerie et la fin des privilèges
  • pour les crypto-monnaies : la blockchain et une aspiration à échapper au contrôle des états et des banques

Pas de sous-jacent économique :

  • pour les assignats : les biens du clergé (valeur 3 milliards de livres pour 46 milliards d’assignats émis)
  • pour les crypto-monnaies : aucun sous-jacent

La non-création de valeurs :

  • pour les assignats : émission de papier-monnaie exponentielle pour une contrepartie fixe et limitée
  • pour les crypto-monnaies : pas de création économique

Un contexte international :

  • pour les assignats : la France révolutionnaire opposée aux royautés européennes
  • pour les crypto-monnaies : pas de limite territoriale (sauf interdictions)

Une spéculation forcenée :

  • pour les assignats : des valeurs surévaluées convertissables en immobilier
  • pour les crypto-monnaies : la volatilité non-encadrée

Les premiers servis grands bénéficiaires du système :

  • pour les assignats : une bourgeoisie détentrice des biens du clergé payés en assignats, et hostile au retour de la monarchie
  • pour les crypto-monnaies : valeur du Bitcoin multipliée par 166 entre 2015 et 2021

Une dévaluation rapide :

  • pour les assignats : – 60 % entre 1790 et 1793
  • pour les crypto-monnaies : Bitcoin : – 67 % entre novembre 2021 et juillet 2022

La porte ouverte aux arnaques :

  • pour les assignats : large émission de faux papier par des imprimeries clandestines et par des puissances étrangères
  • pour les crypto-monnaies : multiplication des escroqueries

Une technologie nouvelle et non complètement maîtrisée :

  • pour les assignats : impression en grandes quantités (une nouveauté à l’époque)
  • pour les crypto-monnaies : la blockchain, sa technologie embryonnaire et ses bugs

La création d’un nouvel éco-système :

  • pour les assignats : la bourgeoisie
  • pour les crypto-monnaies : mineurs, plateformes de trading, émetteurs de cryptos…

La fin ?

  • pour les assignats : abandon par l’Etat en 1796
  • pour les crypto-monnaies : interdiction (Chine et 41 pays avec une interdiction partielle ou totale), régulation, imposition de crypto-monnaies adossées à des monnaies fiduciaires…

 

L’aventure des assignats n’a duré que 7 ans. En 2022, le Bitcoin a 13 ans.

 

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